"Le sex-appeal de l'art...ou "De l'origine de l'oeuvre d'art" chez Heidegger."
L'Origine du monde (1866), de Gustave Courbet
S’il est bien difficile de parvenir à déterminer la moïra (la part, le lot en tant que destin) de subjectivité, de réalité ou encore de vérité dans un symbole, une image et autre signe, mais aussi d’un discours quel qu’il soit, et d’une sensation en générale, qu’en est-il de cette destinée ou de « l’origine de l’art » en particulier ?
Dans la grande diversité des systèmes de pensé, la valse des principes philosophiques..., bien des penseurs, dans « l’histoire de la raison » se sont en effet penchés sur la part de vérité ou encore de nécessité et qui pouvait revenir à l’art et à l’esthétique dans le "cosmos des réflexions humaines". Vaste est le chantier en effet de « l’origine du monde » et de sa finitude puisque, c'est ce que me dévoile, en une vision plus ou moins claire, plus ou moins précise, la question ainsi sous-entendue, par Heidegger au début du XXe siècle :
"De l'origine de l'oeuvre d'art"
"L'oeuvre, en tant que milieu ouvert de l'être-Là-dans-l'histoire du Dasein, est ainsi plus réelle que tous les autres étants..." "Tout art est poème"...
ou, "L'origine de l'oeuvre d'art est l'art", et "Le monde affronte la terre, et la terre le monde"...
et puis, "C'est à la capacité que l'oeuvre a à détruire le public que l'on mesure sa grandeur"...
ou encore, "La pro-duction accompagne toujours l'in-stallation" ...
et enfin : "L'oeuvre délimite l'espace, (celui du vrai), à partir d'elle-même, le site où elle vient s'ériger"...et "L'art est la mise en oeuvre de la vérité (son essence"...
Fiche de lecture de
"De l'origine de l'oeuvre d'art"
C’est dans le cadre d’une, ou plutôt de plusieurs conférences (trois) qui furent données fin 1936 et des écrits de Martin Heidegger entre 1931 et 1932 que, le texte « De l’origine de l’œuvre d’art » voit le jour. Ces conférences auront été tenues au Freien Deutschen Huchstift de Francfort-sur-le-Maine et basées sur la troisième variation sur le thème. Traduit en français par Nicolas Rialland. Ce texte est consultable, pour le moement du moins dans on intégralité, sur Internet à partir du lien qui suit. http://issuu.com/revuedesressources/docs/heidegger_-_de_l_origine_de_l_oeuvre_d_art?mode=window&pageNumber=1
Introduction
Il faut préparer un nouveau « fondement » pour notre Dasein vis-à-vis de l’art, par la médiation de ce qu’est pensé et dit depuis longtemps sur la détermination essentielle de l’art.
« Des œuvres d’art nous en connaissons. » (…) »
Des œuvres architecturales, picturales, musicales et langagières sont placées et disposées ici et là. Les œuvres sont issues de différentes époques (Là, ne s’agit-il pas de notion historique en tant qu’historicité hégélienne…) et appartenant à notre propre peuple comme à d’autres »(…) » . « A cette « production »…deux processus : D’abord la maîtrise des idées artistiques issues de l’imagination (et la notion de « l’être-objet »), puis, leur transposition dans la production artistique (comme il sera vu plus loin dans la notion de « l’être-produit »).
Etapes aussi importantes l’une que l’autre »(…), selon Heidegger.
Ensuite, l’idée « du vécu psychique » va faire son chemin ce, afin de parvenir à poser la formulation correcte de la question qui nous intéresse, et celle de l’art quant à son origine.
En l’occurrence l’idée selon laquelle le vécu de l’artiste d’une part et de sa production d’autre part va permettre de réfléchir et de s’ouvrir à la réflexion originelle (l'essence de l’art).
Car « rien ne nous renseigne sur l’origine de l’œuvre d’art » si nous partons de la maîtrise seule des idées qui est « une pure activité de l’esprit » et de la production de l’œuvre quant à « la maîtrise technique » (la técknè ou l’art selon Platon et quand l’artiste n était pas encore différencié de l’artisan, l’art des beaux-arts…) et ainsi ne nous dit rien quant à l’œuvre en elle-même.
Cette production qui permet d’affirmer, « d’exprimer sa personnalité » (artiste-oeuvre) qui se manifeste dans sa production en « s’extrayant du tourbillon de ses sentiments ».
Le « grand art ».
«"Cet-être-produit" ne caractérise pas l’être-œuvre de l’œuvre ».
I. L’œuvre d’art en tant qu’œuvre
- « L’être-œuvre ».
Il faut soustraire des œuvres à leur monde, brisant l’être des œuvres…
Le déplacement de l’œuvre, de son monde, est ensuite regretté par Heidegger….Quand il parle de "déplacement", il faut l’y voir physiquement, comme un déplacement physique malheureux.
En ce sens que l’œuvre n’est réellement observable, si tant est que cela soit possible, que dans son environnement "originel".
Le collectionneur qui va alors acquérir une œuvre, un tableau et l’accrocher au mur de son salon va à l’encontre de l’œuvre, de son intention première, originelle… « Apollon » ne pourrait avoir de « raison d’être » que dans le temple où il trône à sa digne place (selon les hommes) !
"L’effondrement" est alors consommé et dès lors que l’œuvre est brisée, détruite de son « ob-jet » originel, en somme…
Ces deux déterminations (être-objet et être-produit) sont, l’une conséquence, l’autre condition de possibilité de l’être-œuvre. Car l’être-œuvre n’est pas « l’être-objet », ni même d’ailleurs « l’être-produit », loin s’en faut. Et « l’origine est ce qui fait son essence et sa nécessité ». Le « fondement » (ce qui est le fond, le lieu où se fonder) n’est assuré que dés lors que l’être-œuvre est localisée en son lieu, son fondement et sa recherche est dans la formulation de la question elle-même ». Cette question doit être « bien » posée dans le cercle, par un « saut » et « de sa prise d’élan », un « pré-concept » de l’œuvre , dans son « être-œuvre ». Le problème, nous l’avons vu, c’est que l’œuvre d’art est toujours prise dans un rapport avec « autre chose » (être-objet et être-produit) et n’est par conséquent « pas saisie à partir d’elle-même ». De plus, elle est « détruite » car « ouverte » et « manifestée » en un lieu puisqu’elle « détruit » son public…« La pro-duction accompagne toujours l’in-stallation…L’installation de l’ouvre d’art. C’est à la capacité que l’œuvre a « à détruire le public que l’on mesure la grandeur de l’œuvre d’art ». « Dans un lieu qui lui est propre » (...) Comme nous l’avons vu précédemment, pour ce qui concerne la collection, et Apollon ne pouvant être « bien » que dans son temple et voué à Zeus. Ou encore, la « tragédie » qui érige une œuvre langagière dans la langue d’un peuple…Sont autant de façon d’illustrations de l’ « ériger », de consacrer et de glorifier le Monde et étrangers à nos spéculations singulières. Car « l’œuvre installe un monde ». « Etablie » et non pas place telle statue ou tel autre tableau à une place quelconque. L’œuvre « séjourne » en tant qu’ « ouverture de l’œuvre », « l’être-œuvre au monde ». Car ce monde n’est pas organisé par la pensée qui « serait alors un non-monde » ; celui de nos spéculations. « Cette œuvre qui n’installerait pas essentiellement un monde, ne serait pas œuvre d’art et « tout juste un tour d’adresse » qui « tente de faire impression » (mimésis en tant qu’imitation de l’art de la nature, la phusis en l’occurrence et la copie du modèle) en « étalant une pure virtuosité bien vaine ». En somme, l’image n’est pas une copie de produits…puisqu’elle ne représente jamais, mais « installe ». « L’œuvre délimite l’espace, à partir d’elle-même, le site où elle vient à s’ériger ! » car « l’œuvre produit la terre ».
2. Et…« Le monde affronte la terre, et la terre le monde ».
« Ils sont en lutte…Le monde installe et la terre pro-duit….Une dispute »…L’allégorie et le symbole vont fournir le cadre de réflexion sur « la chose supérieure » qu’est l’œuvre d’art. Platon ne donnait-il pas sa priorité sur l’Idée et a contrario du rapport du sensible (matière et forme) de l’art, imitation de l’existant dans la phusis (nature). [Tout comme le fera la religion chrétienne du reste qui, préférant durant des siècles à l’expression du vulgaire et des passions humaines, la stricte application du dogme des Ecritures, refusait et condamnait même « rire » et images profanes aux couleurs vives moyenâgeuses qui détournaient de l’objectif essentiel de la foi...A suivre, bientôt : « Etude sur le Nom de la rose »… ] Heidegger, sur cela répond précisément, clairement, que « l’œuvre d’art ne représente rien »(…) L’œuvre devient, « par la suite, le triomphe sur le sensible » (les passions) et l’aspiration vers le supérieur, qu’elle représente. « Un monde, et pro-duit-la terre ; ceci parce qu’elle est la dispute de cette lutte…elle est elle-même et rien d’autre. »
Il faut aller alors dans l’œuvre-en-soi, a priori, et ne pas s’arrêter à l’interprétation qui en est faite. Il faut aller à « l’apparence »…et c’est par cette « mise en œuvre de l’œuvre » en somme, qui tend vers [l’art intrinsèque], son essence que nous pouvons y parvenir. Dans sa poésie, et non dans son interprétation… Car, dans la tragédie « De l’affrontement, surgit la vérité… ».
II. L’art en tant qu’origine de l’œuvre
« L’art est la mise en œuvre de la vérité (celle du vrai). Son essence, dans l’art lui-même et son essence-poème». Du « transfert » tragique opérée par cette « tragédie » qui, à l’école de la souffrance des pathémata humaines va opérer sa téléologie. Des passions humaines qui, à travers l’expérience, comme à la faveur des acteurs de la Grèce antique et de son public, (ces derniers devaient s’identifier à leurs héros tragiques dans une « purgation aristotélicienne ») vont trouver leur ob-jet. La catharsis, par cette purification des traumatismes à la façon de toutes les cultures archaïques qui, telles des médications vont guérirent « les maladies mentales » par l’art et sous toutes ses « formes », toutes ses expressions, du corps comme de l’esprit et par la danse et le chant ce, au son des discours incantatoires et de la musique enivrante…N’est-ce pas là encore une « volonté » surhumaine et qui s’exprime ? Mais de cela, Heidegger ne fait que sous-entendre le « nom », le « pro-jet ». De cet affrontement surgit la vérité. C’est-à-dire par là, « l’essence de la vérité qui se met en œuvre dans l’œuvre [« c’est l’advenir de « l’ouverture » de l’être-ouvert de l’étant en tant que tel »] et qui par conséquent, le retrait et le non-retrait (le secret) appartiennent à la vérité, tout autant que la dissimulation. » (…) « La mise en œuvre de la vérité, c’est là l’essence de l’art ». Mais Heidegger nous dit alors, « que la vérité n’est pas la vérité particulière comme une pensée (pas ici dans le sens non plus d’un holisme), une proposition, une idée (pas ici dans le sens platonicien) ou une valeur et qui serait « représentée » dans l’œuvre ; car vérité signifie (nous l’avons vu) essence du vrai, l’être ouvert de l’ouvert ». « Le projet poétique porte l’être à la lumière car la poésie n’est qu’un mode du projeter » (« du faire-poème »)(…) Car « tout art est langue » en tant qu’expression dont « tout est poème ». Mais alors, « l’œuvre n’est pas œuvre parce qu’elle est expression, au contraire, il n’y a expression que parce qu’il y a œuvre ». Heidegger est nominaliste, « occamiste » comme Hobbes... Il donne par conséquent du sens à la langue et au mot dans leur singularisme, non à leur abstraction et à leur volonté de donner du sens par le mot-instant et non le contraire à une « théorisation universaliste » ; ce qui différencie l’homme des autres animaux, qui eux aussi communiquent mais non pour s’approprier « un monde » et en lui donnant le sens et la détermination voulus en ce sens... Me trompes-je ?, parce qu’ Heidegger dit alors : Parce que l’homme, par la langue, donne un nom à la chose il est l’être-de l’étant, car se nommer et ce dire sont un projeter dans le Dasein humain. Et, « que serait un chat, sans l’être ? » Il est « hégélien » également, ce qui n’aurait pu être dans la Grèce antique…En ce sens d’un « Dasein historique ». Car l’animal autre que l’homme, par le langage, ne peut lui, exister dans une histoire et c’est la raison pour laquelle il n’a pas, lui, de « Dasein historique »…
Conclusion
« Le commencement immédiat de l’art dans le saut originaire… ». Ce sur-saut ». « L’Art est une origine » (… ) « L’origine et le sens du « fondement » (ce fondement nous l’avons vu, en tant que « fond » des choses, de l’être se sachant exister au monde. Monde qu’il nourrie de son existence et de sa connaissance dans ce monde qu’il sait, et qu’il s’est construit en sachant qu’il est sa propre finitude en somme…).
Mais, « le début (commencement) a un motif qui est le hasard, aléatoire qui est le saut, la source de l’origine (« au sens originel ») qui initie l’histoire et la fin». C’est la raison pour laquelle, « la préhistoire n’a pas d’art ». Car la « pré-histoire » égale le « pré-art »…C’est-à-dire, qu’avant d’exister, il n’y a pas de début sinon ce ne serait pas l’origine, le début mais une continuité, un changement, un progrès (notion par ailleurs encore inexistante dans l’hellénisme). Mais encore et ce sera la fin. « Quant à son essence, le saut de l’origine reste un secret, car l’origine est un mode de ce fond dont nous devons nommer la nécessité : liberté »… « L’essence de l’art comme mise en œuvre est l’origine de l’œuvre d’art. » Son commencement…
Heidegger conclu par les mots d’Hölderlin :
« Car ce qui gîte
Près du jaillissement originel ne quitte
Un tel lieu qu’à grand peine ». (La Migration)
Je termine, pour mon humble moïra, par les mots d’Augustin, « pour la création » : « Nous n ‘étions donc pas avant que d’être créés, pour n’avoir pu nous créer nous-mêmes.
Augustin (saint) in « La création du monde et le temps »