"Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simple pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne."
"Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalité parmi les hommes".
J-j.Rousseau (1754) en réponse au sujet du concours de l'Académie de Dijon du 13 juillet 1753
A la différence de Kant, Rousseau, sur lequel on est en droit de se poser la question selon laquelle il est étonnamment moins étudié que ce premier sur les bancs de la noble Education, dit que la "sauvagerie" n'est point antérieure à "l'état civil" de l'homme. C'est-à-dire que Rousseau considère qu'à l'état naturel, l'homme est au contraire paisible et non agressif envers son égal, envers son congénère. Il le dit même plutôt méfiant, voire fuyant ; en tout cas "Les seuls biens, qu'il connaisse dans l'Univers, sont la nourriture, une femelle et le repos ; les seuls maux qu'il craigne, sont la douleur et la faim ; je dis la douleur et non la mort ; car jamais l'animal ne saura ce que c'est que mourir, [attention d'ailleurs à tous les raccourcis anthropomorphiques et anthropocentristes à ce sujet] et la connaissance de la mort, et de ses terreurs, est une des premières acquisitions que l'homme ait faites, en s'éloignant de la condition animale." (ibidem).
Si le fil conducteur même de Kant est un plan de la nature et en ce sens, le plan où l'homme concourt par le progrès qu'il ambitionne "universaliste" ce, de grès ou de force pourrais-je dire, à une "fortune*" qui le transcende, Rousseau, lui, en suit un tout autre. Et celui en effet conduisant l'homme et le "genre humain" à se détruire inexorablement. Cela, au fur et à mesure qu'il poursuit son évolution civile, en société serait plus précis d'écrire, mais qui finit par le dépasser, le condamnant à une improbable marche-arrière ; une oeuvre bâtie sur l'empire de la propriété, de la possession et donc, de tous et par tous les maux qui en découlent...
Mais alors, dans la nature, "Pourquoi l'homme seul est-il sujet à devenir imbécile ?"
(*) terme de fortune, non à prendre obligatoirement ici comme quelque fatalité, mais davantage comme la destiné "kantienne", voire pourquoi pas dans le sens machiavélien...